Curiosité du Dimanche 27/01/13 – T(ych)o B(rah)e or not T(ych)o B(rah)e



L’un des fondateurs de l’astronomie moderne, le Danois Tycho Brahe, est mort dans des conditions mystérieuses qui ont donné lieu à de multiples suppositions, dont l'une est liée au fameux "To be or not to be" shakespearien. Les faits ne l'ont pas confirmée, mais l'hypothèse, qu'un ami m'a relatée tout récemment, m'a tellement plu que je vous la livre...

Tycho Brahe n’a que 17 ans quand il assiste à une conjonction entre Jupiter et Saturne en 1563. L’adolescent se passionne pour l’astronomie depuis qu’il a  vu une éclipse de soleil. Il est alors frappé par le décalage de quelques jours qui existait entre les prédictions des éphémérides, déduites du système de Ptolémée, et ce qu’il observe. Dès lors, il n’aura de cesse de dresser des tables plus précises, basées sur de meilleures observations, afin d’éliminer de tels désaccords entre la théorie et les mesures. Issu d’une famille de la haute noblesse danoise, bien en vue à la cour du roi du Danemark, le jeune homme n’aura aucun souci financier pour se consacrer à ses deux passions, l’astronomie et l’alchimie.
 

Etoile montante de l’astronomie en Europe, incroyablement chanceux étant donné la rareté du phénomène, il observe une supernova en 1572. L'événement est une réfutation du système d'Aristote qui conçoit le monde au-delà de la Lune, et en particulier les étoiles fixes, comme éternel et incorruptible. La supernova SN 1572 est aujourd’hui appelée la « Nova de Tycho ». Brahe est aussi le premier à comprendre et à démonter que les comètes sont des corps célestes se déplaçant entre les planètes et sur des orbites non circulaires. Là aussi, c'est un pavé dans le système d'Aristote.

Le père de l'astronomie moderne

Quelques années plus tard, avec le soutien du roi Frédéric II de Danemark, Tycho Brahe fonde un observatoire astronomique construit sur la petite île de Ven, près de Copenhague. Uraniborg (« palais d’Uranie » ou « palais des Cieux », Uranie étant la muse de l’Astronomie) devient le plus important observatoire d’Europe. 

Protégé par le roi, il connaît bien la reine Sophie de Mecklembourg, ce qui va peut-être le desservir autant que le favoriser. En effet, à la mort du roi, il semblerait que Tycho Brahe soit devenu de facto le vice-roi du Danemark jusqu’à l’arrivée au pouvoir du dauphin Christian IV. Or, la proximité entre Tycho Brahe et la reine est telle qu’il se pourrait bien que le jeune prince du Danemark soit le propre fils de Brahe...
L’astronome tombe alors en défaveur et finit par accepter l’offre de l’empereur Rodolphe II de Habsbourg (empereur du Saint Empire, roi de Bohême et roi de Hongrie). Il s’installe dans le château de Beneteck près de Prague où il travaille en tant que mathématicien impérial de la cour à partir de 1599. C’est là qu’il fait la connaissance du talentueux mathématicien et théoricien de l’astronomie nouvelle, Johannes Kepler, qui devient son assistant.


Un curieux empoisonnement au mercure 

 Brahe meurt en 1601, des complications dues à l'apparition d’un calcul dans la vessie, dit-on. On évoque également une septicémie, provoquée par le fait que l'astronome se serait retenu trop longtemps d’uriner pendant un trajet de plusieurs heures en carrosse avec l’empereur Rodolphe II ou au cours d’un long repas. Mais en 1901, à l’occasion du troisième centenaire de sa mort, sa tombe à Prague est ouverte et des poils de sa barbe sont prélevés. Après la chute du mur de Berlin, la jeune République tchèque en offre quelques-uns au gouvernement danois. Et l'analyse qui en est faite en 1996, à l'institut de physique de l'université Lund en Suède, relance la question...
À la surprise des chercheurs, des taux de mercure anormalement élevés sont trouvés dans ces poils. Mais après tout, ce passionné d'alchimie qu'était Brahe aurait pu s’être lentement intoxiqué au cours de sa vie par des travaux en laboratoire. La découverte prend une tout autre importance lorsque des analyses ultérieures révèlent des concentrations mortelles de mercure ne pouvant provenir que d’une absorption importante, juste avant le décès. Aurait-il déclenché sa propre mort en prenant, pour se guérir de ses troubles urinaires, un remède fabriqué par lui à base de mercure ? Ou aurait-il été empoisonné ? Mais par qui et pourquoi ? Par Kepler bien sûr, répondront certains comme Joshua Gilder et Anne-Lee Gilder. Les deux astronomes, dont la rencontre orageuse a fait l’objet d’un roman historique écrit par Jean-Pierre Luminet, ne s’entendaient pas très bien. Sur le plan scientifique, Kepler croyait fermement au système héliocentrique de Copernic alors que Brahe avait son propre système, un curieux mélange de géocentrisme et d’héliocentrisme. Bien que Tycho ait assigné à Kepler la tâche de calculer l’orbite de la planète Mars à partir des données enregistrées pendant des années à Uraniborg, il rechignait à ouvrir pour son assistant un plein accès à ses données. Excédé, Kepler pourrait avoir eu la tentation de tuer Brahe. C’est d’ailleurs en devenant mathématicien impérial à la mort de Tycho, et à partir de ses données, qu’il établira ses trois fameuses lois du mouvement des planètes.

Un lien avec Hamlet ?

Pour le médiéviste Peter Andersen, directeur du département d’études allemandes de l’université de Strasbourg, qui a travaillé six ans durant à élucider les causes et motifs de la mort de l’astronome danois Tycho Brahe, il faut envisager une tout autre hypothèse. Le professeur a retrouvé, dans les Archives nationales de Stockholm, le journal d’Erik Brahe, cousin éloigné de l'astronome. Ce journal, écrit en alphabet crypté, relate les contacts d'Erik avec le prince Johan, frère cadet de Christian IV. Pour le chercheur Peter Andersen, Erik Brahe aurait empoisonné Tycho sur l'ordre indirect du roi. Le mobile du crime serait la vengeance : soit le roi a été manipulé par son conseiller personnel Jon Jakobsen, copernicien convaincu et farouche ennemi de Tycho Brahe, soit le roi voulait éliminer Brahe qui aurait été l’amant de sa mère et peut-être son père. Ce Jon Jakobsen avait des liens avec l’Angleterre. On ignore s'il était en contact avec Shakespeare, mais dans Hamlet, on retrouve la description de la situation danoise de l’époque, et elle ressemble de manière troublante à la rumeur.


Peter Andersen : "Tycho était l’amant de la reine ; ensemble ils tuent l’ancien roi ; Tycho prend le pouvoir et pour devenir roi, Christian IV doit tuer Tycho. C’est le scénario général, mais quand on regarde de près, on voit que le mercure est présent dans Hamlet. C’est le fantôme qui en parle (I, 4). Quant à Jakobsen, il est incarné par Horatio. Par ailleurs, quand Hamlet, ayant le crâne dans la main, s’adresse au fossoyeur et demande l’âge de ce crâne, on lui dit « exactement 23 ans ». Or 23, c’est l’âge de Christian IV au moment de la mort de Tycho Brahe. Ensuite, il demande pendant combien de temps un autre crâne a été enterré. On lui répond 8 ou 9 ans. C’est la durée de la régence. Tycho a été « roi » du Danemark pendant 8 ou 9 ans. Et puis, (cela ne provient pas de moi mais d’un collègue danois qui l’a trouvé il y a deux ans), il y a la fameuse question : « To be or not to be ? » On ne sait pas ce que cela veut dire, mais cela pourrait être « T(ych)o B(rah)e or not T(ych)o B(rah)e » ! Cela fait presque rire, mais dans Hamlet il y a des dizaines, voire des centaines de références à la situation au Danemark. Si l’on prend Hamlet et une série d’autres documents écrits, dont le journal du tueur à gages Erik Brahe, cousin suédois de Tycho, tout colle. Ce journal est un document d’archives. Il n’est pas question d’interprétation. Il a été décodé bien avant moi, il y a un siècle. Personne ne s’était intéressé, avant moi, à ce qui avait amené Erik Brahe à Prague. C’était sa première visite dans la ville, où il aurait été en mission diplomatique. On lit dans son journal qu’il a dîné chez les Brahe pendant plusieurs jours avant la mort de Tycho. Il était son invité. Et il note qu’il a quitté Mme Brahe quelques jours après la mort de Tycho. Erik Brahe était un personnage particulier. Il était catholique. A l’époque, c'était la guerre entre les catholiques et les protestants. Erik Brahe avait changé de camp à plusieurs reprises. Il s’était mis tout le monde à dos. Il avait trahi ses propres amis catholiques, notamment en participant à leur procès à la demande du roi de Suède. C’était un an avant la mort de Tycho Brahe. Les danois se sont dit qu’ils pouvaient sans doute utiliser ce traître. En août 1600, il reçoit une lettre envoyée par un oncle du roi Christian IV. Dix jours après, il quitte la Suède pour toujours. Cette lettre était destinée à le faire partir. Il est accueilli à la frontière par un oncle de Christian IV. Ensuite, il passe 8 mois en compagnie de cet oncle de Christian IV en Pologne, puis se rend en Bohême et arrive à Prague. Par recoupements, on sent qu’Erik Brahe cherche à expliquer qu’il est là pour commettre un crime. Il a d’ailleurs des problèmes de conscience. Durant les mois qu’il passe à Prague, il commence à écrire, toujours en lettres codées, quelque chose de nouveau dans son journal : « Mea culpa » ! Ce journal couvre une période de 16 ans, et ce « Mea Culpa » n’apparaît que lorsqu’il est à Prague. Cela s’ajoute à tout le reste. Tout constitue un faisceau de présomptions. A mes yeux, il n’est pas allé comme cela par hasard à Prague. Est-ce qu’il a versé le poison dans le vin de Tycho ? On ne le saura jamais, bien entendu. Nous pouvons supposer qu’en échange des services rendus il a eu la vie sauve. Il a en tout cas quitté Prague après l’enterrement, puis a fini ses jours à Dantzig."

Mystère élucidé

En 2010, le corps de Tycho Brahe est à nouveau exhumé afin de procéder à des analyses que les progrès de la technique permettent. Pour savoir s’il est possible que le roi Christian IV soit bel et bien le fils de Tycho, il faudrait obtenir le droit de faire des comparaisons avec l'ADN de l’actuelle famille royale du Danemark. Mais cela semble peu probable... L’ensemble des tests et des mesures pratiqués par l'université danoise d'Aarhus n’a pas pour seul but de résoudre l’énigme de la mort de l'astronome. Ces analyses doivent aussi apporter des éléments instructifs sur le plan médical.
En 2012, l’université danoise publie les résultats de l'examen des os et des dents de Brahe : ils révèlent un taux de mercure normal dans les derniers jours de sa vie; ils indiquent aussi que le nez d'or porté par l'astronome (défiguré à 20 ans lors d'un duel avec son cousin, il s'était fait fabriquer une prothèse nasale) était en réalité en cuivre! Bref, le "noble Danois" comme on l'appelait est bien décédé de son calcul à la vessie... mais il a fait naître de belles fictions. Merci Mercure !




http://www.futura-sciences.com/fr/news/t/astronomie/d/on-a-ouvert-la-tombe-de-tycho-brahe-un-des-batisseurs-du-ciel_26162/
http://www.france.cz/Trois-questions-a-Peter-ANDERSEN
http://www.huffingtonpost.com/2012/11/18/tycho-brahe-death-poison-bladder_n_2148980.html